Sur Facebook, c’est elle qui trie vos photos, détermine quelles informations seront affichées sur votre fil d’actualité et analyse vos centres d’intérêt. « Elle », c’est l’intelligence artificielle sur laquelle travaille Yann Le Cun, véritable « monsieur IA » au sein du réseau social qu’il a rejoint en 2013. A 59 ans, ce natif de Soisy-sous-Montmorency partage son temps entre San Francisco, New-York et Paris, cumulant ses activités de chercheur et d’enseignant. Tout en cultivant une approche très personnelle de l’intelligence artificielle et de ses enjeux.
Piaget, Chomsky, 2001 et le SYM-01
Lorsque Mark Zuckerberg le contacte afin de rejoindre Facebook, Yann Le Cun a déjà un long passé de chercheur derrière lui. Pas dans n’importe quel domaine, puisque c’est dans celui de l’intelligence artificielle, enjeu majeur du XXIe siècle, que l’ingénieur français s’illustre. Un thème qui le passionne depuis ses études et son doctorat à l’université Pierre et Marie Curie, qu’il décroche en 1987 avec une thèse consacrée à l’apprentissage des réseaux neuronaux.
Adolescent, Yann Le Cun fait déjà preuve d’un intérêt certain pour l’informatique. Avec son argent de poche, il s’offre un SYM-1, petit ordinateur d’apprentissage sur lequel il s’initie à la programmation. A la même période, il découvre au cinéma le film de Stanley Kubrick, « 2001, l’Odyssée de l’espace », dans lequel tous les sujets qui le préoccupent sont abordés. Il assiste aussi à une conférence qui le captive, menée par Jean Piaget et Noam Chomsky concernant les rôles de l’inné et de l’acquis dans l’intelligence. Plus aucun doute ne plane sur sa carrière : il se consacrera tout entier à une discipline encore largement balbutiante à l’époque, celle de l’apprentissage par la machine.
De la Haute-Savoie à Toronto, il n’y a qu’un pas
A la fin de ses études, il se voit convié à un séminaire rassemblant la fine fleur des informaticiens. Dans la salle de conférences des Houches, en Haute-Savoie, les représentants des plus grandes compagnies écoutent l’exposé du jeune homme qui, dans un anglais approximatif, décrit une méthode de calcul informatique calquée sur le cerveau humain. Des contacts se créent, notamment avec le Canadien Geoffrey Hinton, qui dirige alors à Toronto l’un des seuls laboratoires de recherches entièrement dédié à l’intelligence artificielle.
Yann Le Cun le rejoint dès 1987 et, l’année suivante, gagne le New-Jersey et les célèbres laboratoires Bell du géant AT&T. Il y développe des algorithmes de compression logicielle puis, en tant que chef du département de recherche en imagerie, élabore un programme de reconnaissance automatique des chèques bancaires. Pour fonctionner, son logiciel « apprend » peu à peu au cours de son utilisation, les principaux critères de reconnaissance. Yann Le Cun ne le sait pas encore, mais il vient d’inventer, au beau milieu des années 1990, ce que l’on nommera plus tard la technologie du Deep learning.
Université de New-York, Collège de France et Facebook
Chercheur reconnu et occupant une place prépondérante dans le domaine de l’intelligence artificielle, Yann Le Cun devient en 2003 titulaire d’une chaire au sein de l’université de New York. La discipline est désormais reconnue, et ses chercheurs ne sont plus considérés comme de « doux-dingues », reconnaît Yann Le Cun avec soulagement.
Les étudiants parisiens ont eux aussi eu l’occasion de bénéficier de ses enseignements lorsque le chercheur a été invité par le Collège de France à donner des cours ayant pour intitulé « Informatique et sciences numériques ». Sa leçon inaugurale, le 4 février 2016, a attiré un public si nombreux qu’une centaine de personnes ont dû être refusées, fait extrêmement rare lors d’un tel événement. Plus qu’un simple expert en IA, Yann Le Cun a accédé à la notoriété publique en créant en 2013 le laboratoire de recherche en intelligence artificielle de Facebook. Ce sont ses algorithmes qui régissent le comportement du réseau social envers ses 2,3 milliards d’utilisateurs.
Optimisme de mise
La vision développée par Yann Le Cun au sujet de l’intelligence artificielle et de ses enjeux participe grandement à l’attention qu’il suscite. A longueur d’interviews et d’interventions, le chercheur défend une utilisation responsable de l’intelligence artificielle qui ne constitue pas, selon lui, une menace pour l’humanité. Les vrais dangers ne proviendraient pas de l’IA mais de l’utilisation qui en est faite, d’où l’intérêt et l’urgence d’établir un cadre légal dans ce domaine.
Yann Le Cun a aussi révélé l’une des facettes de sa personnalité en refusant de participer à un congrès en Arabie saoudite. Humaniste, rationaliste et athéiste convaincu, il était hors de question pour lui, comme il l’a expliqué sur sa page Facebook, de se rendre dans un pays où de telles convictions sont passibles de l’emprisonnement et de la flagellation voire de la peine de mort. Un spécialiste de l’intelligence artificielle qui fait donc preuve d’une intelligence bien naturelle.