Julia Sedefjan est une jeune femme déterminée. A peine vient-elle de reprendre les rênes des Fables de la Fontaine (Paris 7e), en août 2015, qu’elle réussit la prouesse de confirmer l’étoile du restaurant dans le guide Michelin 2016. A 21 ans, elle devient ainsi la plus jeune chef étoilée de France, succédant à Ludovic Turac, 26 ans, détenteur du précédent record.
Etre une femme dans ce milieu traditionnellement masculin et réputé difficile ne l’effraie pas. Ce qui compte, c’est sa passion pour la cuisine : « on se doit d’être respecté comme chef, un point, c’est tout. Pour moi, le débat ne doit pas être posé en termes d’hommes ou de femmes, sinon nous, les femmes, on se victimise » explique-t-elle d’ailleurs au Figaro. C’est grâce à son exemple et à une autorité naturelle qu’elle s’impose en cuisine. «Je leur montre tous les jours que je sais ciseler une échalote et équeuter le persil », explique-elle.
Une médaille d’or de meilleure apprentie
Ces qualités expliquent son parcours exemplaire tout autant que fulgurant. Fille d’un agent immobilier et d’une radiologue, Julia n’est pas née dans le sérail. D’ailleurs, petite fille, elle rêve de devenir vétérinaire. Mais en grandissant, ses papilles s’éveillent. Elle a trouvé sa voie. Au départ, ses parents ne sont pas ravis de la voir s’engager dans ce milieu qu’ils jugent dur et trop masculin. Mais la détermination de la jeune fille vient à bout de leurs réticences, et ils cèdent.
Julia suit un CAP au lycée Paul-Augier, et trouve un apprentissage à l’Aphrodite, restaurant gastronomique niçois, détenteur d’une étoile. Elle y explore, auprès du chef David Faure, la cuisine niçoise ainsi que la cuisine moléculaire. Elle décroche un double CAP de cuisine et de pâtisserie, ainsi qu’une médaille d’or régionale de meilleur apprenti, et décide de tenter sa chance à Paris. Elle s’inscrit à Pôle emploi dans le but de trouver du travail dans des maisons réputées. De fait il n’y a qu’un établissement étoilé qui y soit inscrit… et ce sera pour elle. Avant même ses 18 ans, elle entre ainsi aux Fables de la Fontaine, restaurant du VIIe arrondissement, rue Saint Dominique, réputé pour ses poissons.
Une carte plus abordable
Dès 2013, Julia remplace le second de cuisine. Puis quand le chef Anthony David rend son tablier en 2015, le patron David Bottreau, qui fait le pari de lui faire confiance, lui confie sa toque et la destinée de son étoile, acquise en 2005. David Bottreau avait lui-même obtenu cette étoile cinq mois seulement après avoir repris les Fables de la Fontaine à son fondateur, le grand chef Christian Constant.
En reprenant la cuisine, Julia continue à travailler le poisson, tout en apportant sa patte. Influencée par la cuisine niçoise, la jeune chef aime explorer des produits un peu délaissés par la gastronomie française. Son but avoué est de proposer des assiettes plus abordables. L’addition moyenne tourne ainsi aujourd’hui autour des 50 euros, ce qui était avant le prix d’un plat. « On sublime le lieu jaune au lieu du turbot » s’amuse la jeune chef, pragmatique.
Les Fables de la Fontaine n’ont pas seulement rajeuni leur carte, elles ont aussi repensé la décoration de leur salle qui peut accueillir 48 couverts, et le double aux beaux jours avec sa terrasse. Dans cette atmosphère sobre et lumineuse se croisent gourmets, habitués du quartier et touristes, qui viennent savourer les plats inventifs et savoureux concoctés par Julia.
Créativité et travail acharné
Car les idées, Julia n’en manque pas. Elles lui viennent naturellement, dans la rue, chez elle… Comme ce jaune d’œuf croustillant, poireaux croquants en vinaigrette d’algues, haddock cru et cuit (15 €). Des ingrédients simples et bon marché qu’il ne lui restait plus qu’à sublimer et à dresser. A côté de l’effiloché d’aile de raie, poêlée d’épinards, câpres et émulsion de céleri aux agrumes, les amateurs de viande pourront tester le filet mignon de veau, mousseline d’artichauts et girolles.
Au quotidien, Julia est partout à la fois. Elle reconnait que le gros de son travail consiste à motiver les équipes, donner du rythme au service, superviser mais aussi aider. « Mon âge ne pose pas de problème, on me respecte pour mon travail acharné », constate-t-elle. Humilité, passion, travail, talent : Julia Sedefjian possède toutes les qualités qui font les grands. Et qui laissent augurer d’un avenir plein d’étoiles.