En 2015, la sortie sur les écrans du film d’animation éponyme a contribué à redonner un coup de jeune à un héros vieux de 76 ans. Le succès planétaire et ininterrompu de ce petit prince, habitant un minuscule astéroïde et partant en quête de compagnons, s’explique tant par le talent d’écriture de son auteur que par la magie qui se dégage d’un ouvrage aux multiples interprétations. Depuis sa parution en 1943, le livre d’Antoine de Saint-Exupéry cumule les records de vente, ce qui ne va pas sans provoquer conflits et polémiques.
Record d’édition
Disparu en 1944, l’auteur de « Vol de nuit » et de « Terre des hommes » lègue avec ce livre magnifiquement illustré par ses soins non seulement un conte pour enfants, mais aussi une réflexion philosophique dans laquelle chaque lecteur est à même de s’identifier. Cette universalité a tout de suite séduit un public extrêmement large, français et anglophone tout d’abord, puisque le livre est paru simultanément dans les deux langues.
Au fil des éditions, l’histoire du Petit Prince a conquis le monde, devenant un phénomène littéraire et commercial unique en son genre. Traduit dans 300 langues et dialectes, l’ouvrage est devenu, si l’on exclut les textes religieux, le livre le plus vendu au monde totalisant plus de 145 millions d’exemplaires dont 12 millions écoulés dans l’Hexagone. Rien qu’en France il s’en vend, selon sa maison d’édition Gallimard, plus de 350.000 exemplaires chaque année.
Comptes de fée
Les rééditions successives et les tirages faramineux du livre ne constituent pas les seuls faits d’arme du jeune héros bouclé. En effet toute une série d’adaptations ont contribué à en faire une figure mondialement reconnue. Films, dessins-animés, lectures phonographiques, la figure du Petit Prince ne cesse depuis sept décennies d’alimenter l’actualité. En ce début d’année, deux pièces de large audience en ont repris l’histoire, des documentaires ont été produits et diffusés, tandis que de nombreuses troupes d’acteurs et de musiciens se sont emparé du personnage pour leur spectacle de Noël. A Ungersheim, en Alsace, un parc à thème de 24 hectares est entièrement consacré au héros créé par Saint-Exupéry. Les produits dérivés de l’œuvre sont quant à eux diffusés dans des boutiques qui leur sont dédiés ainsi que sur un site internet qui ne regroupe pas moins de 800 articles allant du mug à la sculpture en taille réelle.
Manne financière
Ces adaptations, produits dérivés et autres accessoires constituent une manne financière dont profitent largement les ayant-droits. Derrière le sympathique bambin blond, les héritiers veillent fermement sur l’image du personnage dont les bénéfices engendrés, qui restent secrets, se monteraient chaque année à plusieurs millions d’euros. Ce qui ne va pas sans provoquer d’incommensurables querelles dont certaines ne trouvent leur aboutissement que devant les tribunaux.
Lorsque son avion est abattu en Méditerranée, l’écrivain, qui n’a pas d’héritier direct, n’a rédigé aucun testament. Son héritage est alors partagé entre ses sœurs et sa femme Consuleo. Lorsque cette dernière décède en 1979, son ancien secrétaire, José Martinez-Fructuoso, est désigné comme son légataire universel. Deux familles se partagent donc les bénéfices liés à l’utilisation de l’image du personnage et aux publications des œuvres de Saint-Exupéry. Depuis le début des années 2000, une série de procès oppose les d’Agay qui sont les héritiers directs de Saint-Exupéry, à José Martinez-Fructuoso. Jusqu’à présent, toutes les décisions de justice ont entériné les droits des deux parties.
Privé de domaine public
Ces querelles d’héritiers ne devraient pas s’interrompre avant 2032, date à laquelle les œuvres de l’écrivain tomberont peut-être dans le domaine public. Du moins en France car si le fait est déjà acquis à l’étranger depuis 2015, la situation est bien différente et bien plus complexe dans le pays de naissance de Saint-Exupéry. Déclaré « Mort pour la France », le passage de l’œuvre de l’écrivain dans le domaine public se voit prolongée d’une durée supplémentaires à laquelle se rajoute encore une prorogation de guerre.
Ne désirant visiblement pas se priver de la manne financière, les héritiers ont en parallèle entrepris une démarche systématique de dépôt de marque. L’image de tous les personnages de l’œuvre a été enregistrée, répondant ainsi au droit des marques, ce qui permettra de s’affranchir d’un élargissement de la propriété intellectuelle. Œuvre majeure du vingtième siècle, le Petit Prince ne cessera pas de sitôt de susciter les intérêts les plus divers et inattendus.