Pour beaucoup, le nom de McAfee ne fait qu’évoquer un logiciel antivirus. Pionnier du secteur, partenaire des plus grands noms de l’informatique, l’itinéraire de son fondateur aurait pu s’apparenter aux nombreuses success stories qui jalonnent l’épopée du numérique. Pourtant, la vie de cette légende de la cybersécurité s’apparente à bien des égards à un roman policier.
McAfee for President
C’est l’une des personnalités les plus marginales de la Silicon Valley. Et l’une des plus médiatiques. A 71 ans, l’informaticien cumule les frasques dignes d’une star du Rock. Le catalogue est complet : sexe et prostituées, addiction à la drogue et aux conduites extrêmes, collection d’armes à feu et élevage de chiens d’attaque, jusqu’aux soupçons de meurtre et de séquestration. Une vie menée tambour battant, avec l’envie d’aller toujours plus loin.
Son ambition, si elle n’avait été contrecarrée, l’aurait bien porté à la course à la présidence des Etats-Unis sous l’étiquette libertarienne. Ecarté au profit d’un autre candidat, John McAfee a décidé de fonder son propre parti, axé sur les problématiques technologiques et la défense des libertés. Une étape de plus dans une vie singulièrement foisonnante.
Ingénieur et hippie
Né en 1945, John McAfee grandit dans l’Etat de Virginie au sein d’une famille modeste. Son père, alcoolique, s’acharne régulièrement sur lui et sur sa mère, avant de se suicider. L’adolescent, qui n’a alors que 15 ans, restera traumatisé à vie par cet acte. Elève brillant, il décroche un doctorat en mathématiques en 1968 et collabore avec les entreprises les plus innovantes de l’époque : la NASA, Xerox et Lockheed voient passer ce jeune homme talentueux au regard vitreux et à la démarche incertaine, et pour cause : il lui arrive fréquemment de prendre du LSD et de se rendre à son travail sous l’emprise de la drogue. Alcool, LSD et cocaïne l’accompagneront tout au long des années 1970, et ce n’est qu’en 1983 qu’il décide de se ressaisir en adoptant un mode de vie plus sain.
Une idée de génie et beaucoup d’esbroufe
Au milieu des années 1980, les premiers virus informatiques font leur apparition. C’est alors que John McAfee décide d’élaborer un programme destiné à éradiquer ces menaces. Il fonde alors l’une des premières compagnies dédiées à la cybersécurité et passe des contrats avec les leaders de la Silicon Valley. Mais ce n’est qu’en 1992 que son entreprise décolle grâce à un virus nommé Michelangelo. Jusqu’alors, peu de particuliers estimaient la menace assez sérieuse pour s’équiper d’un logiciel de sécurité. Fort de son aura, John McAfee va tirer la sonnette d’alarme prédisant que des millions d’ordinateurs seraient infectés par ce dangereux virus. Les ventes décollent même si le virus n’aura touché, en définitive, que quelques milliers d’ordinateurs. Tant pis s’il perd en crédibilité : John McAfee est désormais multimillionnaire.
Des antivirus aux antibiotiques
En 1996, l’informaticien décide de revendre ses parts et de changer de vie. Il tente alors de se ranger en donnant des conférences et en lançant des projets de réseaux sociaux, sans grand succès. Ses vieux démons ressurgissent et les fêtes qu’il organise s’apparentent à de véritables orgies. La crise de 2008 fait fondre sa fortune qui, de 100 millions de dollars, passe à 4 millions. John McAfee vend toutes ses propriétés et part s’installer au Belize. Il y rencontre une jeune biologiste qui rêve de créer un antibiotique 100 % naturel. Le millionnaire en fait sa maitresse et monte pour elle un véritable laboratoire pharmaceutique dans sa propriété. Un laboratoire qui va attirer la curiosité des autorités, soupçonnant McAfee de fabriquer de la drogue. Une première perquisition ne mènera à rien, mais marquera le début d’un conflit ouvert avec les représentants de la loi.
Un soupçon de meurtre
Il faut dire que John McAfee n’était pas un résident discret. Sortant en présence d’une armée de gardes du corps recrutés parmi le gang le plus violent de l’ile, toujours entouré de prostituées et bardé d’armes à feu, l’Américain ne passe pas inaperçu. Sa passion pour les chiens d’attaque se conjugue avec une paranoïa de plus en plus vivace. Les altercations avec ses voisins deviennent fréquentes. L’un d’entre eux porte plainte pour les nuisances provoquées par l’élevage de plusieurs dizaines de chiens. Quelques jours plus tard, les molosses de McAfee sont retrouvés empoisonnés. Le lendemain, c’est le corps du voisin qui est retrouvé, abattu d’une balle dans la tête après avoir été vraisemblablement torturé. Suspecté par la police, John McAfee échappe à une nouvelle perquisition, enterré dans le sable, un carton sur la tête pour pouvoir respirer. C’est sous l’identité d’un touriste allemand qu’il franchit la frontière du Guatemala voisin.
Une cavale et de nouveaux projets
Clamant son innocence à qui veut l’entendre, John McAfee s’entoure, durant sa cavale, de journalistes du magazine Wired. Ses interviews sont ponctuées de photos dont certaines contiennent encore des données GPS. Arrêté au bout d’un mois, il simule un malaise afin d’éviter une extradition au Belize et se retrouve finalement aux Etats-Unis, sans être inquiété. En plus de son projet présidentiel, il alimente un blog où il s’exprime ouvertement, réalise des vidéos parodiques et a renoué, depuis mai 2016, avec la cybersécurité en prenant les rênes de la compagnie MGT Capital Investments, qui sera bientôt rebaptisée John McAfee Global Technologies. Si le monde de l’informatique a toujours été un vivier pour les personnalités les plus originales, John McAfee est certainement la plus sulfureuse de toutes.