Polaires, pulls en laine, T-shirts, les vêtements Patagonia, bien connus des baroudeurs, jouissent d’une solide réputation auprès des adeptes de sports extrêmes. Au-delà de la qualité des produits proposés par la marque, c’est l’engagement sans faille de son fondateur, Yvon Chouinard, qui fait de cette entreprise un modèle de développement durable et de commerce éthique.
Entrepreneur atypique
A la tête d’une marque employant 1 350 personnes et réalisant 540 millions de dollars de chiffre d’affaires[1], Yvon Chouinard n’a pourtant rien d’un chef d’entreprise ordinaire. Répugnant à l’idée de manager du personnel et d’avoir à donner des ordres, n’utilisant ni ordinateur ni smartphone, l’alpiniste d’origine québécoise, qui fêtera en novembre ses 77 ans, est pourtant considéré comme un modèle d’entrepreneur responsable. Auteur de nombreux ouvrages exposant sa philosophie, proche de ses employés et toujours prodigue en conseils, son parcours détonne dans une société avide de profits et peu regardante sur les conditions de production et leur impact écologique.
Mousquetons vendus dans le coffre de sa voiture
A l’âge de quatorze ans, Yvon Chouinard se prend de passion pour l’escalade. Jugeant les pitons du commerce trop peu résistants, le jeune homme fabrique, quatre ans plus tard, son propre matériel dans un poulailler de Burbank, en Californie. Vendant quelques-unes de ses fabrications depuis le coffre de sa voiture, sa réputation dépasse vite le cercle de ses connaissances et c’est presque malgré-lui, comme il l’affirme dans l’un de ses ouvrages[2], qu’Yvon Chouinard devient entrepreneur. En 1970, une première boutique ouvre ses portes, la production s’industrialise et se diversifie. Au point de faire de sa première marque, Chouinard Equipment, le principal fournisseur d’articles de grimpe aux États-Unis.
Yvon Chouinard : succès et responsabilités
Rebaptisé Patagonia en 1973, l’équipementier se lance alors dans la confection de vêtements outdoor, dont le succès ne s’est depuis jamais démenti. Plus que par sa fulgurante réussite économique, c’est par ses méthodes originales et, surtout, par la vision portée par son créateur que la marque suscite un intérêt constant. Car le fonctionnement de Patagonia n’est en rien comparable à celui des autres entreprises. Grimpeur aventureux et respectueux de la nature, Yvon Chouinard teste son matériel dans les pires conditions. En 1972, s’apercevant que ses pitons abiment les parois, il n’hésite pas à retirer du catalogue son produit phare et planche sur un modèle ne laissant aucun stigmate sur la roche. Les années passées à se comporter, selon ses confessions, « comme un sauvage »[3] dans les montagnes isolées l’ont vraisemblablement aidé à se forger une solide philosophie de vie.
Patron anticonsumériste de Patagonia
Quel autre chef d’entreprise aurait osé publier, en plein Black Friday[4], un encart publicitaire dans le New York Times enjoignant les consommateurs à ne pas acheter une veste Patagonia ? Car la société de consommation, poussant à acheter au-delà des besoins, révulse Yvon Chouinard, dont tous les produits sont conçus en marge des modes. Il avoue même n’avoir acheté aucun produit Patagonia depuis plus de vingt ans, se contentant de ceux déjà en sa possession et qui sont, selon ses dires, en parfait état. La frénésie consumériste est pour lui responsable des nombreux maux dont souffre la planète : conditions de travail inhumaines, addiction envers les marques, perte des repères et destruction de l’écosystème. En première ligne dans le combat pour la sauvegarde de la nature, Yvon Chouinard a tout fait pour que Patagonia devienne un modèle d’entreprise écoresponsable.
L’écologie au cœur de l’entreprise
Aucune fibre synthétique n’entre ainsi dans la confection de ses vêtements ; seuls les matériaux naturels et biologiques trouvent grâce à ses yeux. Ses vestes polaires sont fabriquées à partir de bouteilles plastique usagées, et les catalogues Patagonia ont été les premiers, aux Etats-Unis, à être imprimés sur du papier recyclé. Des audits externes examinent à intervalles réguliers l’impact environnemental des produits, et leurs comptes-rendus sont affichés sur le site Internet de la marque. Tous les ans, 1% du chiffre d’affaires est reversé à des associations environnementales. « Une sorte d’impôt vert », résume Yvon Chouinard, qui rêve de convertir les autres entreprises du secteur à sa philosophie. Y compris Wal-Mart, le mastodonte de la grande distribution, qui constitue l’antithèse de Patagonia.
Humanisme et charisme
Ne rechignant pas à laisser les commandes à ses subordonnés pour aller escalader les sommets ou pour surfer, Yvon Chouinard applique à son entreprise les mêmes règles que pour lui-même. Les employés de son usine, située à Ventura, sur la côte californienne, bénéficient ainsi d’horaires flexibles leur permettant de s’adonner au surf lorsque les vagues sont favorables. Les salariés de Patagonia bénéficient d’une mutuelle santé, d’une garderie gratuite, d’aides au transport, et peuvent pratiquer le bénévolat tout en conservant leur salaire.
L’entreprise est donc à l’image de son fondateur : hors-normes. Croyant aux capacités de l’Homme, mettant en avant son espoir d’un changement des mentalités, Yvon Chouinard est un patron charismatique qui a réussi le tour de force de fonder une entreprise à la fois rentable et respectueuse, sans pour cela renier ses convictions.
[1] Chiffres pour l’année 2012
[2] « Homme d’affaires malgré moi : Confessions d’un alter-entrepreneur », Vuibert, 2006.
[3] « Mes amis et moi étions comme des espèces sauvages qui vivaient en marge de l’écosystème, adaptables, résistants et costauds. »
[4] Vendredi suivant le repas de Thanksgiving et qui marque traditionnellement le coup d’envoi de la période des achats de fin d’année.