L’application récente d’une CFE forfaitaire à tous les auto-entrepreneurs est une menace pour ce statut qui aide à lutter contre le chômage ou le travail non déclaré et est un tremplin inégalé pour l’entreprenariat et l’innovation.
Le statut d’auto-entrepreneur en France a été mis en place pour inciter les citoyens à créer leur propre activité professionnelle. Il est ouvert à tous (retraités, actifs, demandeurs d’emploi), mais il est réservé à de « petites activités », c’est à dire dont le chiffre d’affaire hors taxe ne dépasse pas 82.200 ou 32.900 euros par an, selon qu’il s’agit d’une activité de vente de biens ou de services.
Les principaux avantages sont la simplification administrative et une fiscalité intéressante. Il n’y a pas de séparation entre le capital de l’entreprise et le capital personnel. Les deux intérêts principaux de cette mesure sont de créer de l’activité économique en dehors des entreprises, pour générer de la croissance et aider à lutter contre le chômage, et de servir de tremplin pour tester des activités ou des marchés en prenant des risques plus acceptables. Une bonne idée ne devient idée de génie que lorsqu’elle marche concrètement. L’entreprenariat et l’innovation sont toujours des paris. Inciter à la prise de risque, c’est inciter à entreprendre.
Une cotisation confiscatoire
La CFE (cotisation foncière des entreprises) remplace depuis 2010 la taxe professionnelle. Elle est gérée par les collectivités locales qui en sont les bénéficiaires. Elle est désormais applicable aux auto-entrepreneurs quelque soit leur chiffre d’affaire et est théoriquement liée à la surface immobilière utilisée pour une activité professionnelle.
C’est justement là qu’était tout l’intérêt de se lancer dans l’aventure de l’auto-entreprise. L’un des principes de base du statut résidait jusqu’à présent dans une fiscalité proportionnelle au chiffre d’affaire. Autrement dit, une activité qui ne rapportait rien n’était pas taxée. Aucune excuse pour ne pas tenter sa chance puisque l’on ne pouvait être que gagnant. Cela était également l’occasion de créer de petits projets en plus de son activité principale sans trop se soucier de leur rentabilité.
Sur quelle base taxe-t-on ?
Payer des impôts est chose courante et normale. Personne ne remettrait en question la nécessité de participer collectivement au bon fonctionnement d’un Etat, d’une région, d’une commune.
Deux types de taxes ou charges sont généralement admises : des taxes redistributives et des taxes incitatives. Dans le premier cas, il s’agit de prendre une partie des richesses acquises ou accumulées (par l’impôt sur le revenu ou sur la fortune par exemple) pour les redistribuer de manière théoriquement équitable au sein de la société, sous forme d’argent ou de services (juridiques, médicaux, administratifs, scolaires).
Dans le second cas de figure, il s’agit de punir un comportement afin d’inciter le contribuable à le faire évoluer. C’est le cas par exemple lorsque l’on taxe le tabac ou l’alcool qui posent des problèmes de santé publique ou encore l’essence et l’utilisation de la voiture qui ont un impact écologique et urbanistique négatif.
Même si cette mesure n’est pas présentée de la sorte, de nombreux entrepreneurs la considèrent comme punitive, puisqu’elle porte sur une action qui en soit ne rapporte pas d’argent (le fait d’enregistrer administrativement une intention d’activité). Une chose est sûre, elle pourrait décourager de petites activités déjà existantes ou non, complémentaires d’un autre revenu, et qui ne deviendraient plus rentables.
Payer pour avoir le droit de travailler
Taxer les revenus d’un travail pour les redistribuer ou participer aux infrastructures et services d’une collectivité ne pose pas de problème, mais payer avant même le premier euro de chiffre d’affaire est vu comme une taxe donnant le droit à travailler
Ce qui est remis en cause n’est même pas l’augmentation des cotisations, qui pourraient se faire sur une portion du chiffre d’affaire (même si cela resterait un frein à l’entreprenariat), mais la rupture avec le principe « pas de chiffre d’affaire – pas d’impôt » qui était un argument de première classe pour inciter chacun à inventer, entreprendre, s’essayer à une activité, et créer ainsi un tissu économique.
Taxer des surfaces inexistantes
Avec la CFE, l’Etat français a non-seulement inventé le paiement d’un droit à travailler, mais aussi la taxation de surfaces inexistantes. La CFE, en tant que cotisation foncière, est calculée par rapport à la valeur locative de la surface utilisée pour une activité professionnelle (bureau, atelier, boutique, ou même votre grenier). Or, beaucoup d’auto-entrepreneurs n’attribuent aucune surface à leur travail, soit parce qu’ils l’exercent directement chez leurs clients (pour des services à domicile par exemple) soit parce qu’ils travaillent depuis un espace public (espaces de coworking ou cafés, dont les surfaces exploitées sont par ailleurs déjà soumises à la CFE). De plus, pour les personnes travaillant de leur domicile, la surface qu’ils occupent a déjà été taxée (taxe d’habitation, voir taxe foncière).
Pour ces cas précis, ou si la surface utilisée pour l’activité professionnelle est trop petite, les collectivités locales appliquent un forfait, entre 210 et 500 euros selon les communes.
En taxant une surface inexistante, la France court le risque de perdre les entrepreneurs de demain dont beaucoup sont des nomades digitaux, c’est à dire que leur entreprise tient dans leur ordinateur, et que l’endroit physique où ils se trouvent n’a aucune importance. Certains font même le tour du monde en gérant leur start-up (peut-être le prochain Google ou Amazon).
L’un des risques est également de voir le travail non-déclaré se développer, chez des auto-entrepreneurs à faibles revenus qui ne seraient pas sûrs de couvrir suffisamment leur CFE, ou bien chez des personnes voulant tester leurs projets avec des budgets limités.
Les poussins résistent
Interpellé par les poussins, un mouvement de protection des auto-entrepreneurs né en 2013 sur les réseaux sociaux en réaction à la loi Pinel, (visant à limiter le champs d’application du régime des auto-entrepreneurs), le gouvernement a finalement accepté d’exonérer de cette cotisation les personnes ayant un chiffre d’affaire nul. Cela ne satisfait pas les poussins, pour qui un impôt qui ne serait pas proportionnel au chiffre d’affaire pénaliserait forcément les plus faibles revenus et n’encouragerait pas à la prise de risque entrepreneuriale.