Le beaujolais nouveau est aujourd’hui connu par tous comme un évènement bachique populaire et universel. Il a su s’adapter à toutes les cultures, et on le célèbre le troisième jeudi de novembre à minuit de Lyon à Tokyo en passant par New York. Jamais dans l’histoire de la globale consommation (hormis Noël), un évènement n’a su rassembler autant de monde à un même moment. Cela grâce à une stratégie de communication et de marketing rondement menée !
Comprenant l’opportunité qui s’offrait à eux les négociants puis l’interpro du beaujolais se sont emparés du phénomène beaujolais nouveau dès les années 60 pour tenter de le marqueter. Malgré la multitude d’acteurs, trois grands axes ont toujours semblé être présents : un slogan unique « Le beaujolais nouveau est arrivé », une date unique : le troisième jeudi de novembre, un cépage unique : le gamay noir.
Une date pour un slogan
Jusqu’en 1967, la date du déblocage du beaujolais nouveau était variable. Mais à partir de cette année-là, un décret va rationaliser ce déblocage en instituant une date fixe : le 15 novembre à minuit. Un premier pas venait d’être franchi : l’instauration d’un rendez-vous annuel. Avant cela, cette date variable avait pour objectif de rationaliser les circuits de distribution en France tout en tenant compte des spécificités régionales pour ainsi permettre une concurrence saine et loyale entre les régions.
Cependant, il s’est rapidement avéré que cette date variable ne pouvait suffire à créer une date-évènement, il fallait en arrêter une. Inspirée par le succès bourguignon de la Saint Vincent Tournante, l’Union viticole du Beaujolais ainsi que les négociants locaux décident alors de faire de l’arrivée du beaujolais un évènement unique et grandiose et ils exhortèrent l’administration à déposer cette date du 15 novembre.
Fort de ce succès, vignerons et négociants s’organisent et créent de toutes pièces une grande fête traditionnelle sur les codes de la Saint Vincent : les fêtes des Sarmentelles à Beaujeu, capitale du Beaujolais. Cette fête, née en 1947, avait pour objectif de départ de promouvoir simplement le beaujolais.
Mais rapidement celle-ci a pris pour nouvel objectif de ritualiser et d’instaurer un moment particulier, ainsi toutes les techniques de mise en scène de l’univers folkloriste développé par les républicains pendant l’entre-deux-guerres dans la promotion des régions sont utilisées : procession, intronisation, chansons à boire, confrérie, invitation de journalistes et bien sûr une procession de brouettes remplies de sarments enflammés pour tenter de rappeler les anciennes fêtes du sarment (très en vogue au siècle précédent) et ainsi créer l’illusion d’une fête « traditionnelle ».
« Un folklore de papier »
Il ne s’agit pas tant de construire une nouvelle pratique locale dont la notoriété croissante attirerait petit à petit la presse, mais de produire d’emblée un évènement pour la presse et par la presse. Un folklore de papier dira Gilles Laferté (La Bourgogne et ses vins : image d’origine contrôlée)
C’est ainsi que dès 1986, Raymond Baudoin, alors journaliste à la Revue du Vin de France, cinq journalistes régionaux, huit journalistes étrangers (trois Japonais, deux Suisses, deux Américains et un Belge) et deux représentants de la presse nationale sont intronisés à la confrérie du Beaujolais à la fête des Sarmentelles. Rapidement ce réseau journalistique va permettre à l’interprofession (le commandeur de la confrérie du Beaujolais étant aussi président de l’UVB) de contrôler et d’organiser la communication au niveau international.
Donner une légitimité littéraire à cet événement
Dans les années 70, George Duboeuf, aussi membre de la confrérie, élabore une campagne de réclame:« Le beaujolais nouveau est arrivé ». Ces quelques mots simples, vraisemblablement nés sur l’ardoise d’un bistrot lyonnais sont depuis devenus le slogan incontournable de la fête.
Pour en arriver à cette notoriété, là encore la confrérie du Beaujolais a su user de techniques marketing éprouvées en Bourgogne : créer un évènement, lui donner une légitimité littéraire et l’asseoir en répétant sans cesse le même message. Ainsi, en 1979, la littérature vient asseoir le concept et le slogan avec René Fallet qui publie son roman Beaujolais nouveau, suivi quelques années après par le film, puis en 1984 Gilbert Garrier publie Vigne et vignerons dans la France ancienne, qui donne une place prépondérante au beaujolais nouveau.
L’année suivante, sous l’impulsion de l’Union viticole du Beaujolais, un nouveau décret fixe la date de déblocage des primeurs au troisième jeudi de novembre. La raison est simple : la production de vins nouveaux est de l’ordre de 500 000 hl en 1985 contre seulement 220 000 hl en 1967. Cette date fixe du 15 novembre est donc trop restrictive pour pouvoir distribuer l’ensemble de la production, la profession a besoin de plus de souplesse pour rester performante.
Aujourd’hui encore, le troisième jeudi de novembre est toujours la date en vigueur pour la sortie du beaujolais nouveau, comme pour tous les autres primeurs de l’hexagone. Cette date-clé a permis au beaujolais nouveau de devenir un phénomène universel, un évènement populaire, et chacun identifie aujourd’hui le beaujolais à son slogan « Le beaujolais nouveau est arrivé », qui n’est autre qu’une métaphore pour parler de ce 3ème jeudi de novembre !